LAMPEDUSA ORATORIO DES MIGRANTS. LIVRET: Jean-Pierre Armanet

Pays brûlé

Pays brûlé! Pays maudit!

La vie s'en est encore allée,

Le village n'est plus que brasier.

Folie! Terreur!

Frères! Sœurs! Pères!

Il nous faut quitter le village,

La mort est cachée dans chaque case!

Sort funeste!

Plus le temps, plus de choix,

Nous avons tout perdu...

Nus! Nous sommes nus! Nus!

 

 

Le Destin

Ecrit... sur la pierre sacrée

Eh, eh, eh...

Leur destin.

 

 

Là-bas

Eh, eh, eh.... Fuir là-bas.

Fuir la misère. Fuir...

Chance, une seule chance, chance!

Fuir la mort, mort!

Là-bas, fuir là-bas.

 

 

Le griot

Toi tu partiras au Nord et tu seras riche!

C'est écrit dans ta main, je le vois dans tes yeux!

S'il le dit, lui!

Le griot, lui!

Va t'en vite! C'est ton tour!

Va t'en vite! Jour de chance!

Bon griot, lui! La chance!

Hey!

 

 

Les mirages

Le passeur nous guide,

L'horizon n'est plus loin,

Juste au bout de nos mains,

La fin du chemin.

Mirages, mirages...

 

Le soleil flambe,

La piste brûle,

Comme le sel, comme une soif sans fin,

Comme une peur ardente,

Comme une fièvre d'or...

 

 

Les dollars

Passeur! Voleur!

Rends-les nous! Rends-les nous!

Nos dollars!

Toute notre peine...

Tous notre espoir...

L'avenir, l'unique chance...

Vers le Nord, vers la paix...

Argent! Dollar!

On t'a payé! Toi t'as volé!

Faut me payer! C'est pas assez!

Notre argent! Nos dollars!

Mon argent! Mes dollars!

 

 

 

Le passeur

Je suis le marchand de rêve, de rêve à vendre.

Moi, je suis l'espoir de toutes ces pauvres vies...

Je prends l'argent, je les conduis,

là où mène le fol espoir de jours sans larmes,

de nuits sans crainte, d'Eldorado,

là où tout est si beau, si beau...

Ils viennent à moi, impatients de partir au Nord,

ils viennent à moi...

sans jamais sentir le souffle de la mort...

 

 

L'embarquement

Enfin la mer!...

L'ultime route!

Voici notre bateau...

Il dort à son mouillage...

Bateau sur l'eau

Nous nous embarquons sur l'eau.

 

Couchons nous sur le pont

Dormons sous le ciel clair

Espérons la terre proche

Retenons notre peur,

Il faut croire à demain,

La route est longue...

 

Il faut prier, il faut dormir,

Il faut prier, il faut dormir...

Bateau sur l'eau

L'enfant dormira bientôt...

 

Suivons notre étoile,

Et dormons en paix,

Et dormons en paix...

Bateau sur l'eau

Notre rêve est pour bientôt...

Bientôt...

L'ultime route...

 

 

 

 

 

Le cauchemar

J'ai très peur, j'ai très froid,

Maman!

Ne crains rien, n'aie pas peur.

Je vois au fond en bas sous l'eau

L'affreuse bête!

Enfants, n'ayez pas peur,

Enfants, dormez tranquilles!

Le pays de sucre, le pays de miel,

Nous attend...

J'ai très peur, j'ai très froid.

 

La traversée

Nous voici seuls, sur la mer.

Que le bon vent nous pousse!

Que la vague soit douce

Aux humains de l'exode!

Marins nous ne sommes...

La bonne fortune suivra le sillage...

A bon port nous serons bientôt rendus...

 

 

La prière en mer

Nos langues s'assèchent, nos langues se meurent.

Lointaine terre, ne nous ignore!

Lointaine terre, nous t'en prions! Terre!

Prends notre barque,

Bonne terre, chère terre. Terre!..

N'entends-tu pas nos cris de détresse?

Ne vois-tu pas la mer qui nous dévore ?

Pitié! Pitié! Mort! Mort!

Hélas, nous sommes perdus sur la mer immense,

La mauvaise chance a poussé la barque au loin, au large,

Là où l'espoir n'est plus, n'est plus...

 

 

L'île frontière

La voilà! C'est la terre!

Terre promise! C'est notre île!

La voilà! L'île frontière!

Enfin la terre, enfin la paix...

Heureux sort qui est le nôtre,

Heureux sort que le nôtre!

Joie! Joie! Joie!...

C'est la vie!

C'est la vie qui nous est enfin promise!

La promesse,

La promesse que nos enfants grandiront en paix!...

La voilà! L'île frontière!

 

 

La bénédiction

Dans l'aube rouge,

Notre île nous sourit...

Bénie soit cette île, notre île...

 

 

L'alerte

Alerte! Attention!

Le bateau brûle

 

 

La bagarre

Au feu!

De ta faute, de ta faute à toi!

Fais gaffe à toi! Gare!

C'est la bagarre!

Stop!

C'est pas moi! c'est pas moi!

Bien sûr que c'est lui! Le coupable! Lui!

Mais j'ai rien fait! Rien fait de mal!

T'as mis le feu!

Il voulait qu'on nous voit depuis la terre!

Le bateau brûle! On va couler!

On est fichus! On va mourir!

A l'aide! A l'aide!

Au feu!

 

 

La colère

Êtes-vous fous ? Calmez-vous!

Le bateau va couler!

Nous touchons bientôt terre!

Restez donc comme des frères!

Cette querelle est mortelle!

Voyez donc notre sort!

Il nous reste un espoir,

La terre brille dans le soir....

Assez! C'est trop!

Allez! Courage!

Bateau sur l'eau, la rivière, la rivière....

Prions Dieu...

 

 

Le naufrage

Où es-tu ? Samiah! Fodé!

Répondez! Samiah! Fodé!

Où êtes-vous ? Où sommes-nous ?

La boussole est folle,

Le bateau s'égare.

Fodé! Hassan! Hamid! Timmit!

Lucky! Samiah! Patience!

Enfants de la misère et de la guerre.

Où sommes-nous ? Perdus! Trahis!

C'est notre fin!

Fodé! Hassan! Hamid! Moussa! Malah!

Le voyage se finit là.

C'est notre fin!

 

 

Pauvres marins

Pauvres marins sans plus de mémoire,

Vous voici plongés au liquide cimetière.

La vague, hélas, a passé dessus la barque.

Comme des pierres, comme des sacs,

Comme des poids, comme des morts,

Nous nous sommes abîmés...

Plus de ciel, plus un son,

Plus de vie, seule l'eau noire...

Plongés au fond,

Noyés comme des pantins au fond de l'onde...

C'est le destin...

C'était dit...

 

 

Rêve d'or

Nager, sombrer, nager, sombrer....

Nage auprès de la côte,

Nage, mais plus sans ta barque,

Respire, encore, encore...

Te voici chavirant ton rêve d'or...

 

L'air me manque, l'abîme m'attire.

L'eau m'enlace, l'eau devient amie.

 

Gonfle ta poitrine et reprends ton souffle.

La côte est toute proche, tu peux la rejoindre.

 

Je n'ai plus de forces....

 

 

Les garde-côtes

Mais où s'égare la barque,

Là peut-être, là plus loin, là au large?

Cherche bien, cherche encore!

Là je vois, je crois, je vois,

Ils s'enfoncent, se noient!...

Au secours! Au secours!

Je me meurs! Je me meurs!

C'est trop tard pour lui,

La mort est sur elle,

Il n'y a plus d'espoir,

Le sort l'a voulu,

Un noir linceul les berce à présent,

Tout est silence, silence.

Au secours! Au secours!

 

 

Le tombeau

Tout se calme, tout s'est tu...

La mer caresse notre sommeil...

Tout est calme, pour toujours...

La mort nous a pris,

Plus douce que nos vies,

Elle semble amie...

Car c'est notre tombeau d'eau...

Cette terre nous a bannis...

Cette terre n'a pas voulu de nos vies,

De nos corps, de nos vies, de nos âmes.

C'est ainsi, il faut mourir...

Nous ne sommes plus,

Nous sommes enfin délivrés...

Dormons au fond de notre tombeau.

Nos vies s'achèvent,

Elles ont trouvé le repos au fond de l'eau noire...

Elles ont trouvé le repos.

 

 

 

SI HAÏTI MOURAIT. (Oratorio avec coryphée)                       LIVRET : Dany Laferrière.

 Si HAÏTI MOURAIT 

 

On circule dans les rues illuminées

Des grandes métropoles du monde

Avec nos airs urbains et nos politesses apprises

Ignorant que nos vies sont gorgées

De sentiments secrets et des chants sacrés

Oubliés quelque part en nous

Et qui ne se resurgiront qu’à nos funérailles.

 

2 L’OISEAU DE MALHEUR

 

Une journée dure ici une vie.

On naît à l’aube.

On grandit à midi.

On meurt au crépuscule.

Et demain, il faut changer de corps…

 

Si on accueille si facilement les dieux

C’est parce que les gens croient

Qu’ils sont eux-mêmes des dieux.

Sinon ils seraient déjà morts.

 

3 DERNIER RETOUR DE L’ECOLE

 

Quelque chose bouge là-haut.

Une petite fille en train

De grimper la montagne

Avec un saut d’eau sur la tête.

Ici on vit d’injustice et d’eau fraîche..

 

Les enfants traversent le cimetière

Pour se rendre à l’école.

En passant ils frôlent de leur paume

La tombe de leurs ancêtres.

Une façon de garder un contact quotidien

Avec ce monde.

 

4 LA PRÉMONITION DES MÈRES

 

La mort, cet archer aveugle.

Actif à minuit comme à midi.

Trop de gens dans cette ville

Pour qu’il puisse, au moins

Une fois, rater sa cible.

 

5 LES MAUVAISES AUGURES

 

Tout est plein à ras bord.

La première larme fera déborder

Ce fleuve de douleurs dans lequel

On se noie en riant….

 

Si on meurt plus vite qu’ailleurs,

La vie est ici plus intense.

Chacun porte en soi la même somme

D’énergie à dépenser

Sauf que la flamme est plus vive

Quand son temps pour brûler

Est plus bref.

 

6 LA TERRE S’OUVRE

 

La terre s'est mise à onduler comme une feuille de papier que le vent emporte. Bruits sourds des immeubles en train de s'agenouiller…emprisonnant les gens dans leur ventre. Soudain, on voit s'élever dans le ciel d'après-midi un nuage de poussière… pas une branche, pas une fleur n'a bougé malgré les quarante-trois secousses sismiques de cette première nuit. J'entends encore ce silence.

 

7 JUSTE APRÈS LA SECOUSSE

 

La nuit vient de tomber brutalement… On se chuchote nos angoisses…

Des jeunes filles entament un chant religieux si doux que certains adultes se sont endormis. Deux heures plus tard, on entend cette clameur. Des centaines de personnes prient et chantent dans les rues. C’est pour eux la fin du monde que Jéhovah annonçait…. Un vent d’enfance souffle sur nous.

 

8 LA PEUR

 

On voi(t) surgir, sous une pluie de poussières, un peuple à la fois fier et discret...

Une forêt de gens qui s’avancent sur la terre encore frémissante. On voit des ombres glisser des montagnes pour les rejoindre…On entend quelques cris étouffés. On ne sait pas ce qui se trame sous nos ventres. C’est qu’on ignore ce que nous réservent les prochaines secondes.  On peut se cacher du vent ou même du feu mais pas d’un sol qui s’agite.

 

9  COLERE

 

Que disent les Dieux de cette affaire. Legba, où êtes-vous ? Ogoun, que dites-vous ? Erzulie, qu’en pensez vous ? Si vous êtes derrière cette histoire, avez-vous un plan ?…D’abord, manifestez-vous!

 Pas un mot. Les Dieux se taisent.

Il y a tant de morts que ce sera impossible de les enterrer individuellement… on ne parle plus des morts mais du nombre de morts.… Debout au milieu de la rue, les bras en croix, une femme demande des comptes au ciel.

 

10 RUINES

 

Les gens déambulent dans les rues, espérant croiser un parent, un ami, un voisin ou même une simple connaissance. Il faut que quelqu’un d’autre légitime notre prétention d’être vivant. On est encore un zombi tant que personne n’a crié notre nom.

 

11 LA FOLIE

 

Il faut imaginer toute une ville où chacun cherche simplement à localiser un parent ou un ami. On crie de plus en plus fort dans l'appareil. On entend de moins en moins l'autre. On s'impatiente. Chacun reste muré dans son drame personnel. Le langage se résume alors à l'essentiel. Puis ce silence.

 

12 LES PLEURS

 

Une femme se promène avec un bébé en pleurs…. Elle est sa nourrice… Ses parents sont arrivés… la nourrice leur a rendu le bébé et ils ont dansé, avec cette joie sauvage, en le tenant serré contre eux… un nouvelle secousse a rompu la petite fête.

 

Certains voient s'envoler, en une minute, le rêve d'une vie. Ce nuage dans le ciel tout à l'heure c'était la poussière de leurs rêves.

 

13 LE RELÈVEMENT DES CORPS

 

Les vivants et les morts se frôlent tant et si bien qu’on ne les distingue plus…

Des gens déambulent sans cesse avec une étrange détermination. Ils semblent indifférents à la douleur qu’ils portent avec cette élégance qui suscite l’admiration universelle. ..

Je me souviens des porteurs de mon enfance

Qui dansaient avec le cercueil sur leurs épaules.

Des femmes menaçant de se jeter

Dans le trou pour rejoindre leur mari.

Des chiens apeurés courant parmi les tombes

Tandis que le vent fait balancer les palmiers

Comme une fillette qui joue avec des tresses.

La mort me semblait si drôle à l’époque.

 

14 LE CROQUE-MORT

 

Deux corbillards se croisent

Dans cette rue poussiéreuse

Au pied de la montagne.

Chacun emmène son client

A son rendez-vous.

Le dernier taxi coûte plus cher.

 

15 BARON SAMEDI

 

Il y a dans chaque cimetière

Une grande croix noire à l’entrée.

Cette tombe vide qui n’appartient à aucun mort.

C’est ici que vit Baron Samedi,

Ce dieu paillard et funèbre,

Qui sert de concierge au cimetière où

Personne n’y pénètre sans sa permission

 

16 DANSE DES FANTÔMES

 

Ma mère m’a dit cet après-midi

Sur le ton de quelqu’un

Qui se doute qu’on l’écoute

Que les morts se promènent parmi nous.

On les reconnaît à cette manière

D’apparaître et de disparaître

Sans qu’on sache ce qu’ils étaient venus faire.

 

 

17 PRIÈRE

 

La ville est sur les genoux…On s’étonne que les Haïtiens ne maudissent pas Dieu pour ce flot de malheurs.

Dieu, …c’est pour se convaincre qu’ils ne sont pas seuls sur cette terre et que leur rien n’est pas uniquement ce chapelet de misère et de douleurs…Ils ont compris qu’il ne faut pas trop lui demander… S’ils ont perdu leur maison, ils lui rendent grâces d’avoir épargné leur vie.

 

18 FUREUR DES DÉFUNTS

 

Le cortège s’arrête

A ce modeste cimetière décoré

Par les paysans des environs.

D’où vient cette idée

De peindre la mort avec des couleurs

Si éclatantes et des motifs si naïfs

Qu’ils font rire les enfants ?

Pour le peintre primitif la mort`semble simple comme bonjour.

 

…Il faut vivre intensément

car on peut mourir à tout moment.

 

19 LA VIE REPREND

 

Ces gens qui portent leur douleur avec une telle grâce possèdent un sens de la vie qu’il serait dommage d’ignorer. A les voir si sereins, on se doute bien qu’ils savent des choses à propos de la douleur, de la faim ou de la mort. Et qu’une joie violente les habite. Joie et peine qu’ils transforment en chant et en danse.

 

20 L’ESPOIR

 

« Quel peuple » ! Ces gens sont tellement habitués à chercher la vie dans des conditions difficiles qu’ils porteront l’espérance jusqu’en enfer.

 

 

…Il serait souhaitable que chaque sac de riz soit accompagné d’une caisse de livres car …« nous ne mangeons pas pour vivre  mais pour pouvoir lire ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Membre Sacem 127129.